Le premier coup de feu du départ a retenti… me voilà dans le train, au départ de Rennes, direction Thonon-les-Bains, au bord du lac Léman, où m’attendent mes coéquipiers d’une aventure hors normes.
Nous devons rallier Villeneuve à Genève en nageant, soit 73 km (la longueur du lac) non-stop en se relayant à 3 nageurs. Temps estimé : 24 h si tout va bien.
Pour ma part, les choses ne commencent pas comme espéré. Si mon début de saison sportive a démarré sur les chapeaux de roues avec un chrono de 1h50′ à la traversée de Groix, suivi d’un record perso sur 1500m eau libre dès le lendemain (assorti d’un podium : 2è master… mon premier podium en natation) une douleur à l’épaule gauche me contraint à réduire puis à stopper totalement l’entraînement à 15 jours de « l’Aquaraid Léman 2011 », comme nous avons baptisé notre défi. M’en remettant entièrement au Dr Buard, médecin du sport, je suis un régime anti-inflammatoire de 2 semaines. Conscient de l’importance que peut prendre un tel objectif dans l’esprit d’un sportif, il me propose une infiltration pour « assurer le coup ». Ce que j’accepte volontiers, bien décidé à participer à l’événement, même s’il est bien évident que je n’y arrive pas dans les meilleures conditions.
L’eau du Léman a-t-elle des pouvoirs miraculeux ?
La douleur articulaire ressentie après les essais de combinaison la veille du départ m’a fait imaginer le pire scénario pour notre périple. Mais, chose incroyable, lorsque nous sommes partis (les 3 nageurs ensemble) pour notre premier kilomètre au départ du ponton de Villeneuve : plus rien ! Même pas un petit « pic » discret, rien ! En clair, j’avais mal au repos et en mouvement, plus rien ! J’irais même jusqu’à dire qu’après mon premier relais de 2h, j’étais guéri ! Peut-être les eaux du Léman ont-elles des pouvoirs miraculeux comme celles de Lourdes ou d’un autre haut-lieu de dévotion ? Bon, je suis optimiste, mais avant tout réaliste. Je me doutais bien que s’il y avait une fragilité quelque part, elle allait resurgir au fil des kilomètres. Il est bien évident que 25km à la nage, ça laisse des traces d’une façon ou d’une autre. En tout cas, les premières traces que ce défi aura laissé dans mon esprit, c’est un agréable souvenir de convivialité. Après ce 1er kilomètre commun, Gaëlle et moi laissons Alain continuer son relais et montons à bord du voilier de Dominique qui nous accueille royalement en compagnie de Jacky son « matelot ». «L’aquaraid Léman 2011 » vient de commencer !
Au départ, ce sont 3 groupes de personnes qui ne se connaissaient pas et qui ont dû cohabiter pendant plus de 24 heures dans la promiscuité et avec toutes les difficultés qui peuvent émailler ce type d’aventure
Il aura été une découverte de nos capacités physiques, mais aussi des découvertes humaines. Au départ, ce sont 3 groupes de personnes qui ne se connaissaient pas et qui ont dû cohabiter pendant plus de 24 heures dans la promiscuité et avec toutes les difficultés qui peuvent émailler ce type d’aventure. Et c’est bien probablement cet aspect qui m’aura le plus marqué. D’abord avec l’accueil au camping des Pompiers de l’Extrême qui nous ont sympathiquement invité à dîner et offert sacs à dos et T-shirt à l’effigie de leur association qui œuvre pour les orphelins de pompiers… alors qu’ils nous faisaient déjà la gentillesse de nous assister et assurer notre sécurité dans le périple ! Un coeur grand comme ça pour Ludovic, Léonce et Angélique et Bernard qui savaient parfaitement dans quoi nous nous engagions.
Eux-même avaient traversé la Méditerranée de Calvi en Corse à Cagnes-sur-Mer à côté de Nice. 40H de nage à la palme dans une mer parfois démontée, sans voir la côte, avec 2 nuits à passer avec le pire qui peut être rencontré. Comme celui de perdre un nageur dans le noir. Mais les gars sont rôdés aux problèmes de sécurité et en vrais professionnels, ils nous ont mis en place tout un dispositif pour que le nageur soit visible de nuit et qu’il puisse lui-même suivre son cap sans avoir à relever sans cesse la tête.
La « ligne de vie » (dont le nom ne me semble pas choisi au hasard) consiste en un bout d’une vingtaine de mètres, lesté en plusieurs endroits avec des tubes luminescents de différents couleurs. Plus besoin de se préoccuper du cap, nous pouvons nager sereinement, les yeux attachés à cette ligne de vie, seul lien avec notre team dans l’obscurité.
15h: Après cet échauffement de 1000m, Dominique nous accueille donc à son bord, fait les présentations et la visite de nos quartiers.
Nous ne l’avions encore jamais rencontré et n’avions échangé que par mail, mais le courant est tout de suite passé entre nos 2 skippers et le reste de l’équipage. Jovials, mais sérieux à la manœuvre pour organiser les rotations de nageurs, Dominique et Jacky étaient les coéquipiers que nous n’aurions pas osé espérer. Tout aussi sérieux et « déconnants » au moment où on peut se le permettre, Didier et sa femme Béatrice effectuaient les transferts de team kayakiste/nageur sur le « voilier-mère » avec leur magnifique vedette au moteur survitaminé. Sauveteurs potentiels de l’aventure, ce sont eux qui pouvaient nous ramener rapidement à la côte en cas de pépin. Discret mais efficace, le couple complétait sympathiquement l’équipée engagée dans une aventure longue où l’humeur de chacun est déterminante dans la cohésion du groupe.
17h : Je sors de l’eau, avec à peine 6 km de parcouru et déjà des signes de fatigue musculaire. Je pensais nager aisément beaucoup plus vite, mais les 3 semaines d’interruption forcées à cause de la tendinite ont dû me faire régresser. Je ressens les mêmes types de courbatures qu’après la traversée de l’île de Groix, sauf que là je n’en ai pas fini, et devrais remettre çà 4 ou 5 fois !…
Gaëlle, elle, semble à son aise pour l’instant. Même si elle n’a pas pu se préparer correctement ces derniers mois puisqu’elle arrive en remplacement de Fabio, son compagnon, qui a dû déclarer forfait à cause de blessure fonctionnelle aux 2 mains. Elle se permet même de me faire un petit coucou en voyant l’objectif photo prêt à immortaliser l’instant.
19h : Alain entame la 2è série de relais. En forme et confiant avec un entraînement de champion (20 km hebdomadaire), notre organisateur repart pour des relais de 2h. Ce qui m’inquiète personnellement vu l’épée de Damoclès que j’ai au dessus de mon épaule. Mon 2è relais se passe finalement pas mal, à la nuance près que les courbatures se sont encore amplifiées. Mais bon, j’ai couvert plus de 11km, ce qui est à ce jour, ma plus grande distance couverte en une journée.
je suis soudain tiré de ma torpeur en entendant un cri : « Angélique ! Lumière !!! ». Je sens une soudaine agitation sur le pont.
1h du matin, d’un commun accord (avec mon avis appuyé) nous décidons de raccourcir les relais à 1h30′. Le vent est tombé et la pluie annoncée semble nous avoir posé un lapin. Le moment est absolument féérique : dans une atmosphère de quiétude absolue, à bâbord et tribord, des dizaines de milliers de lucioles immobiles se reflètent sur les eaux calmes. A une dizaine de kilomètres de part et d’autre, les lumières d’Evian et de Lausanne semblent se faire coquettes dans le miroir du Léman. A une cinquantaine de mètres sur tribord, Alain fend l’eau calmement, à la suite de la ligne de vie luminescente, tel une bonite à la poursuite d’un train de mitraillette. Sur les bateaux, l’euphorie des premières heures a laissé la place au calme de la nuit et des premières tentatives de sommeil. Vaines pour ma part et celle de pas mal de personnes. Les courbatures et une discrète douleur tendineuse (aux deux épaules cette fois) ont raison de mon désir de récupération. Je me suis toutefois un peu assoupi et me dit que c’est au moins ça de prit. Allongé sur les couchettes de la cabine à l’avant du bateau, je suis soudain tiré de ma torpeur en entendant un cri : « Angélique ! Lumière !!! ». Je sens une soudaine agitation sur le pont. Grosse montée d’adrénaline : on a manifestement perdu dans la nuit Angélique et Alain qui doit nager à sa suite. Je l’apprendrais plus tard, mais un bateau arrivant à très haute vitesse a soudain alarmé l’équipage qui avait perdu de vue notre binôme. Pendant 5, peut-être 10 minutes interminables, j’entendais les radios VHF crépiter et les appels se succéder dans le noir. Puis, ouf, le bateau « étranger », est passé comme une étoile filante et Angélique s’est manifestée. L’incident nous a fait prendre conscience qu’un simple détail peut faire tourner l’expédition au drame s’il est négligé. Pour ne pas angoisser davantage Alain, sur qui repose toute cette organisation, il a été convenu que nous resterions discret sur cet événement, mais que la leçon avait été prise.
2h30′, à mon tour de me mettre à l’eau. Ma combinaison néoprène n’a pas eu le temps de sécher et je dois me faire violence pour l’enfiler. Arrivé sur la vedette pour aller à la rencontre du nageur, Didier et sa femme sont aux petits soins pour nous et nous mettent l’échelle pour rentrer et sortir de l’eau. Une eau qui curieusement au premier contact paraît bonne ! En fait elle fait au moins 5C° de plus que l’air qui lui approche des 10C°. Je bénis Eole d’être parti en vacances loin d’ici, car j’imagine qu’avec un vent fort, et toutes ses conséquences l’affaire serait d’une toute autre nature. Dans cette ambiance feutrée je me coule dans l’eau à la suite de ma ligne de vie lumineuse. L’eau rentre doucement sous ma combinaison… petits frissons, puis mon corps réchauffe peu à peu cette pellicule d’eau après quelques battements de pieds énergiques. De nuit de ma position au ras de l’eau tout est différent. Mes repères se limitent aux lumières d’Evian à ma gauche à l’horizon, à droite celle de Lausanne et le phare de proue de Didier qui navigue à proximité. Soudain, une étoile extrêmement brillante m’apparait derrière moi à tribord. Étonnant. En regardant plus attentivement, j’aperçois un grand triangle blanc au-dessous. Mais non, il ne s’agit pas d’une comète, mais tout simplement du feu de mât du voilier qui me tient à l’œil lui aussi !
Cette heure et demi à glisser dans le calme avec quelques mots échangés avec Léonce pendant les ravitaillements auraient été un total bonheur si les courbatures et cette « pointe » aux épaules n’avaient pas été de plus en plus marquées.
4 heures du mat’, la vedette approche de nouveau et je tape dans la main de Gaëlle qui repars à son tour avec son éternel sourire. Elle non plus n’a pas dormi, elle a couvert encore plus de distance qu’Alain et moi (malgré un entraînement assez « light » probablement) mais rien ne semble émailler sa bonne humeur.
Quand Alain prend son relais une heure et demie plus tard, le ciel commence à se teinter de rose orangé dans notre dos. La nuit commence à tirer sa révérence au jour qui colore les rives de lumineuses nuances.
C’est le moment de sortir l’appareil photo et réaliser les images qui raviveront ces souvenirs bien plus tard. Parmi les souvenirs, dans la catégorie difficultés, je classerais en 1 la sensation de faire du sur-place. En début de nuit, lorsque les lumières d’Evian me sont apparues, j’ai été surpris de constater qu’elles étaient « immobiles » ! En sortant de l’eau à 4h du matin, elles étaient toujours là, à ma gauche, quasiment au même endroit ! Et c’est là que le moral en a prit un coup. L’extrême limpidité de l’atmosphère a faussé notre perception des distances et les rives d’Evian qui nous semblaient à 4000/5000 mètres étaient en réalité à plus de 10 kilomètres ! Pareil pour la pointe d’Yvoire, qui au lever du jour semblait à quelques mouvements de bras devant nous, était à 2 ou 3 relais d’1 heure et demie de nage ! Vraiment gigantesque le Léman… Et c’est là que j’ai connu ma plus grosse difficulté. Fatigué par une nuit sans sommeil et altéré physiquement (épaules) par 5 heures et demie de nage, je me résigne à sortir les palmes sur mon relais de 7h. Bien mal m’en a pris puisque de douleurs aux épaules, je suis passé de douleurs aux chevilles en moins de 10 minutes ! Si je n’étais pas assez entraîné à nager ces 3 dernières semaines, je l’étais encore moins à palmer. Et le corps vous rappelle très rapidement vos faiblesses dans ce genre de situation.
Il me restait donc 4 heures à réfléchir avant d’envisager la suite de ma participation.
Les 20 minutes qui me séparaient du ravitaillement m’ont semblées interminables. J’en fait part à Léonce qui transmet au voilier et aussitôt Fabio se porte volontaire pour me porter assistance en terminant mon relais. Il me restait donc 4 heures à réfléchir avant d’envisager la suite de ma participation.
C’est pendant ces 4 heures qu’un 2è miracle s’est produit.
Lorsqu’à 11h30′ je me remet à l’eau en me disant que je n’ai qu’à nager lentement jusqu’à ce que ça coince (et que quelqu’un me remplace définitivement) un deuxième souffle me fait repartir de plus belle avec une épaule qui me semble neuve !
Avec du recul, je pense que c’était le repos nécessaire pour régénérer mes muscles et mon articulation. Je me permet même le luxe « d’en mettre un peu plus » et de pousser la vitesse (dans les limites du raisonnable). Je sors de ce relais galvanisé avec déjà le sentiment de la réussite, même si Genève est encore bien loin et qu’Alain et Gaëlle eux, semblent plutôt sur la pente inverse de la fatigue bien normale.
En fin de matinée, subitement, derrière une pointe, je devine au loin une barre blanche qui s’élève verticale au dessus des arbres et des bâtiments. Ça y est, le jet d’eau du port de Genève est en vue ! Cette colonne d’eau de 60 mètres de haut est devenu notre point de mire pour l’arrivée. Visible à plus de 15 km, ce colossal monument immatériel nous apparaît comme le phare qui ramène les marins à bon port. Mais 17 km, c’est encore long, et quand on est fatigué, c’est extrêmement long ! Les relais s’égrennent lentement et je cache ma joie lorsqu’Alain prend l’initiative de raccourcir les relais à 1h15′.
Vers 13h, l’arrivée se précise, les téléphones commencent à se réveiller avec les média qui attendent notre rentrée dans la rade. Au vu de ce qui reste à couvrir, le dernier relais tombe sur le mien. Lorsque je me met à l’eau, le GPS de Didier m’annonce 3200 m. Curieusement, ces 3 km ont été les plus courts de toute la traversée (1 heure). Les bonnes sensations et la promesse de sérieuse tendinite réduite à une vulgaire gêne m’ont rendus littéralement euphorique. Si un caméraman m’aurait filmé sous l’eau, il aurait pu capter mon sourire.
Les dernières centaines de mètres, je voyais les mâts du port de plaisance devenir de plus en plus hauts.
Jusqu’à ce que je stoppe à 300 m de l’entrée, pour qu’Alain et Gaëlle se joignent à moi pour finir l’aventure comme nous l’avions commencé : ensemble ! Là, je n’étais plus le seul à sourire : l’eau très claire du Léman me permettais de voir le bonheur sur les visages d’Alain et Gaëlle. Derniers mètres (sous l’objectif de TV8 Mont Blanc et le micro de France Bleue) qui resteront longtemps gravés dans ma mémoire, car aboutissement d’heures et d’heures d’entraînement et d’espérance. L’émotion, visible dans les yeux humides de chacun, nous a rappelé que ce Défi initié par Alain est plus qu’une aventure physique. C’est aussi une aventure humaine qui a rassemblé, l’espace de 26 heures, des gens qui ne se seraient jamais rencontrés en dehors.
Ce projet commun a permis de convertir des douleurs et des courbatures en plaisir à partager… Quelle merveilleuse invention que le sport !
Laisser un commentaire